De la photo aux formations : un parcours inspirant – Interview LOSPIED Armand pour Média inspiration et parcours pro

Abandonner une carrière établie pour suivre sa passion et bâtir un nouveau projet professionnel, c’est le pari qu’a réussi Armand Lospied. Ancien photographe, il s’est reconverti dans l’univers de la formation et de l’automobile, alliant créativité et entrepreneuriat. Inspire & Career Magazine a souhaité revenir sur ce parcours hors du commun, riche d’enseignements, pour inspirer ceux qui envisagent un virage professionnel. Rencontre avec un homme pour qui se réinventer est devenu un art de vivre.

Journaliste : Armand, votre transition professionnelle est peu commune : passer de photographe à formateur en detailing automobile. Qu’est-ce qui vous a conduit à opérer ce changement radical ?

Armand Lospied : Effectivement, à première vue on peut se dire que ça n’a rien à voir ! Pour comprendre, il faut revenir à ce que je cherchais à ce moment-là de ma vie. J’ai exercé la photographie professionnelle pendant une bonne quinzaine d’années. J’avais monté un studio, je faisais surtout des portraits, des mariages, un peu de photographie d’art. C’était une passion de jeunesse que j’ai eue la chance de transformer en métier. Mais avec le temps, plusieurs facteurs sont entrés en jeu : d’une part, le milieu de la photographie a beaucoup changé (la concurrence, la digitalisation – tout le monde a un appareil photo de qualité dans son smartphone maintenant), il devenait dur de tirer son épingle du jeu économiquement. D’autre part, j’avais un sentiment d’avoir fait un peu le tour. J’approchais de la quarantaine, et j’avais cette autre passion, l’automobile et plus précisément le detailing, qui prenait de plus en plus de place dans mon cœur. Je passais mes week-ends à astiquer ma voiture et celles des copains, à tester des nouvelles cires, à traîner sur des forums auto. C’était mon jardin secret. Au début, je n’aurais jamais imaginé en faire un métier ; c’était un loisir. Mais il y a eu comme un déclic progressif : j’ai commencé à ressentir plus de plaisir le dimanche dans mon garage à polir une carrosserie que la semaine en shooting photo sous pression.

Un événement a particulièrement pesé : un ami m’a demandé de préparer sa voiture de collection pour un concours d’élégance. J’y ai mis tout mon cœur, et le véhicule a remporté un prix de présentation. La joie que j’ai ressentie à ce moment-là, et la gratitude de mon ami, m’ont fait réaliser que je tenais peut-être quelque chose d’important pour moi. En parallèle, j’avais aussi de plus en plus de sollicitations de connaissances pour leur apprendre comment je faisais. J’aimais expliquer, partager mes techniques – un peu comme je le faisais en animant des ateliers photo à l’époque. Donc vers 2018, j’ai entamé une vraie réflexion : est-ce que je pourrais vivre de cette passion auto ? C’était effrayant car cela signifiait sortir d’une carrière où j’étais identifié, pour repartir à zéro ou presque.

Ce qui m’a décidé, c’est une combinaison de conviction et de contexte : conviction que le detailing allait se développer et qu’il y avait un marché (j’avais fait mes petites recherches, vu ce qui se passait aux USA où c’est très populaire), et contexte car à ce moment-là j’ai eu une opportunité – un local idéal s’est libéré pas loin de chez moi, et j’ai pu vendre mon studio photo à un jeune photographe repreneur. C’était un peu comme si la vie me faisait un signe en me disant “allez, lance-toi”. Alors j’ai sauté le pas.

En résumé, c’était le besoin de renouer avec un enthousiasme authentique et de relever un nouveau défi, combiné à des circonstances favorables, qui m’ont mené de la photo au detailing et à la formation.

Journaliste : Ce changement a-t-il été difficile à vivre ? Quelles compétences de votre ancienne carrière vous ont servi dans la nouvelle, et à l’inverse, qu’avez-vous dû apprendre de zéro ?

Armand Lospied : La transition a eu ses moments de doute, bien sûr. Passer d’un domaine artistique à un domaine technique, avec aussi la casquette d’entrepreneur-enseignant, c’était vertigineux par instants. Mais j’ai rapidement constaté qu’il y avait des passerelles insoupçonnées entre mes deux vies.

Par exemple, la photographie m’a énormément appris sur la notion de lumière et de perception visuelle. Croyez-le ou non, c’est très utile en detailing : savoir repérer une micro-rayure, c’est avant tout savoir jouer avec la lumière rasante, orienter la lampe au bon angle – un peu comme en studio on joue avec les éclairages pour révéler un détail sur un sujet. Mon œil exercé de photographe m’a aidé à atteindre un haut niveau d’exigence visuelle en detailing.

Aussi, la photo m’a inculqué la patience et la précision : attendre la bonne lumière, peaufiner un cadrage au millimètre… En detailing, patience et précision sont le cœur du métier également. Par exemple, lorsqu’on applique un traitement céramique sur une carrosserie, il faut être méthodique, ne pas précipiter le processus de pose et de lustrage, un peu comme on attend le bon temps de pose en photo argentique.

Une autre compétence transférable, c’est la relation client. En tant que photographe, je devais mettre à l’aise mes modèles, comprendre les attentes des clients pour un album de mariage par exemple. Cette écoute et ce sens du service m’ont servi quand j’ai commencé à traiter avec des propriétaires de voitures exigeants. Ils attendent qu’on les rassure, qu’on leur explique ce qu’on fait. J’ai gardé cette habitude de communiquer, de créer un lien de confiance, qui vient clairement de mon expérience photographique où le relationnel est clé.

Sur le plan entrepreneurial, j’avais déjà l’expérience de gérer une petite entreprise (mon studio), de faire ma compta, de promouvoir mes services. Ce bagage m’a évité de partir de zéro en gestion d’entreprise quand j’ai lancé mon centre de detailing.

En revanche, ce que j’ai dû apprendre de zéro, c’est la partie purement technique automobile et la pédagogie formelle. Je connaissais le detailing en autodidacte, mais j’ai quand même suivi des formations spécifiques pour me perfectionner (je suis allé me former à l’étranger sur certaines techniques pointues, par exemple). Et j’ai dû me familiariser avec le monde de la formation professionnelle “officielle” : comment bâtir un programme pédagogique structuré, comment évaluer des compétences, etc. J’ai suivi des modules pour formateurs, j’ai potassé des guides de pédagogie – bref, j’ai acquis un nouveau métier de formateur en plus de celui de detailer.

J’ai aussi dû bâtir un réseau dans ce nouvel univers. Je partais d’une feuille blanche en termes de contacts dans l’automobile et la formation. Ça a demandé du temps de se faire connaître, de prouver ma légitimité. Les premiers mois, j’ai vécu un petit syndrome de l’imposteur parfois : je me disais “mais qu’est-ce que tu fais là, toi l’ancien photographe, à donner des cours sur les polisseuses ?”. Ce qui m’a aidé à surmonter ça, c’est de réaliser que mon regard différent était justement une force. J’apportais une approche neuve, un sens esthétique et une rigueur de qualité qui ont finalement plu à mes clients et à mes apprenants. Quand j’ai vu leurs retours positifs, j’ai gagné en confiance.

Journaliste : Avez-vous rencontré du scepticisme ou des oppositions face à cette réorientation ? Par exemple, des proches ou des collègues qui ne comprenaient pas votre choix ?

Armand Lospied : (Il sourit) Oh oui, bien sûr. Quand j’ai annoncé que je laissais la photographie pour “laver des voitures” – c’est ainsi que certains l’ont formulé de façon un peu caricaturale – j’ai eu droit à pas mal de réactions incrédules.

Mes parents, par exemple, se sont inquiétés : pour eux, j’avais un métier “prestigieux” ou en tout cas artistique, et je le troquais pour un travail manuel qu’ils voyaient comme moins valorisant. Il a fallu leur expliquer que c’était plus que ça, que c’était un vrai métier avec un marché en expansion. Certains amis photographes ont pensé que je traversais une drôle de crise de la quarantaine (rires). Ils m’ont dit : “Garde au moins un pied dans la photo, au cas où…”.

J’ai aussi senti du scepticisme du côté de quelques professionnels de l’auto au début : “Tiens, voilà le photographe qui débarque chez les carrossiers…”. Il a fallu faire mes preuves, montrer que j’étais sérieux et compétent.

Ces scepticismes, je ne les’ai pas mal pris ; je les’ai pris comme un défi. Je me suis dit : je vais leur montrer que c’est un projet solide. Les premiers mois, j’ai travaillé d’arrache-pied, j’ai communiqué sur mes réalisations, sur la satisfaction de mes premiers clients. Le bouche-à-oreille positif a vite tourné et a fait taire les doutes côté client.

Du côté familial, ça a pris un peu plus de temps – ils se sont vraiment rassurés en me voyant épanoui et, disons-le, quand ils ont vu que j’en vivais correctement. Mon père m’a même dit un jour : “Finalement, tu as bien fait, tu as trouvé un filon qui te correspond mieux”. Ça m’a fait chaud au cœur.

Ce qui est un peu amusant, c’est que mes anciens collègues photographes me voient maintenant un peu comme “celui qui a osé bifurquer”. Certains m’ont confié envier mon courage de changer de voie. Comme quoi, les sceptiques d’hier peuvent devenir supporters, voire trouver de l’inspiration dans mon parcours.

Moi-même, je n’ai pas été immunisé contre les doutes. Il y a eu des soirs où je me demandais si je n’avais pas fait une bêtise. Dans ces moments, les remarques encourageantes (même d’un client satisfait, d’un stagiaire reconnaissant) comptaient double pour me conforter. Et je me remémorais pourquoi j’avais fait ce choix : pour retrouver du plaisir au travail et pour construire quelque chose qui me ressemble. Dès que je comparais mon niveau de satisfaction personnelle avant et après, la balance penchait nettement du bon côté malgré les difficultés.

Journaliste : Votre parcours illustre la possibilité de se réinventer. Qu’avez-vous appris sur vous-même à travers ce changement de carrière ? Y a-t-il eu des remises en question personnelles ?

Armand Lospied : J’ai énormément appris sur moi, oui. D’abord, j’ai découvert que je suis plus résilient et adaptable que je ne le pensais. Quand on reste longtemps dans un même secteur, on peut douter de sa capacité à faire autre chose. En changeant complètement, j’ai prouvé à la petite voix intérieure craintive que j’étais capable d’acquérir de nouvelles compétences, de m’insérer dans un nouvel univers, de rebâtir un réseau. C’est très valorisant : on gagne en confiance en soi.

J’ai aussi confirmé quelque chose d’important pour moi : j’ai un besoin de créer et de construire qui va au-delà d’un domaine particulier. Avant, je créais des images ; maintenant, je crée une entreprise, des formations, une communauté de passionnés. Le médium a changé, mais j’ai réalisé que le fil conducteur de ma satisfaction professionnelle, c’est de partir d’une page blanche et de concrétiser un projet. Une photo aboutie ou un apprenant formé, c’est différent, mais il y a ce point commun : le sentiment d’aboutissement d’un processus créatif.

J’ai également appris que mes passions pouvaient se nourrir entre elles au lieu de s’exclure. Pendant un temps, j’ai cru que tourner la page de la photographie, c’était renier une partie de moi. En réalité, je n’ai pas abandonné la photo : je la pratique toujours, parfois pour le plaisir, et souvent pour valoriser mon activité (je fais de belles photos des voitures que je prépare, des photos pédagogiques aussi). J’intègre même la photo dans mes formations – j’enseigne à mes stagiaires comment bien photographier un véhicule pour promouvoir leur travail. Donc, loin de l’avoir perdue, j’ai donné à la photo une nouvelle place dans ma vie pro. Ça m’a appris qu’une carrière n’a pas besoin d’être monolithique, on peut fusionner ses compétences en un tout cohérent.

J’ai bien sûr dû affronter mes limites : physiquement, passer à un travail aussi manuel a été un challenge. J’ai dû me mettre sérieusement au sport pour tenir le rythme (chose que je négligeais en passant mes journées derrière un ordi en retouche). Mentalement, j’ai dû apprendre à gérer un nouveau stress – celui du chef d’entreprise – et à modérer mon perfectionnisme. En photo j’étais perfectionniste, et en detailing je le suis aussi, mais en tant que patron j’ai dû apprendre à équilibrer qualité et rentabilité, à déléguer, à accepter que tout ne soit pas sous mon contrôle direct. Ça a été une grande leçon d’humilité et de lâcher-prise.

Une petite anecdote personnelle : j’ai toujours aimé les tortues et j’en ai chez moi. Elles me fascinent par leur lenteur déterminée. Pendant les périodes de doute, les observer m’apaisait et me rappelait qu’on peut avancer lentement mais sûrement vers son but. Un peu comme la fable du lièvre et de la tortue ! Chacun puise la force où il peut – mes tortues m’ont rappelé qu’il faut de la patience et de la persévérance, deux vertus cruciales quand on change de vie.

Au final, cette reconversion m’a permis une véritable introspection. J’ai clarifié ce que je voulais vraiment, ce qui était essentiel pour moi (du sens, du plaisir, de la liberté créative) et ce que j’étais prêt à laisser derrière (une certaine stabilité, un statut). C’est presque un chemin initiatique : on apprend à mieux se connaître en osant sortir de sa zone de confort.

Journaliste : Beaucoup de nos lecteurs hésitent à changer de voie par peur de l’échec ou de regretter. Avec le recul, quels conseils leur donneriez-vous ?

Armand Lospied : D’abord, je leur dirais que c’est normal d’avoir peur – c’est même bon signe, ça prouve que le choix est important pour vous. La peur, il faut l’écouter parce qu’elle vous pousse à bien préparer votre coup, mais il ne faut pas qu’elle vous paralyse.

Je conseille de faire un état des lieux honnête : qu’est-ce que vous gagnez à rester dans votre situation actuelle, et qu’est-ce que vous y perdez ou n’y trouvez plus ? Et inversement, qu’espérez-vous du changement ? Dans mon cas, rester photographe m’assurait une certaine sécurité, mais j’y perdais ma flamme créative. Changer m’a fait retrouver cette flamme, au prix d’une zone d’inconfort temporaire. C’est un arbitrage personnel que chacun doit faire en son âme et conscience.

Ensuite, je suggère de tester à petite échelle quand c’est possible. On n’est pas obligé de tout plaquer du jour au lendemain. Moi, j’ai commencé à lancer mon activité de detailing tout en gardant la photo en parallèle pendant un temps. Ça m’a rassuré et permis de valider que ça me plaisait aussi quand c’était un boulot, pas juste un hobby. Donc, si quelqu’un veut devenir pâtissier alors qu’il est cadre sup aujourd’hui, pourquoi ne pas prendre des cours du soir, faire un stage le week-end dans une boulangerie ? Ça donne un aperçu concret et ça nourrit la décision.

Par ailleurs, il faut s’entourer de soutiens. Cherchez des personnes qui ont fait des reconversions, parlez avec elles. Vous verrez que vous n’êtes pas seul et qu’il y a des étapes classiques dans ces transitions. Un mentor ou un pair qui est passé par là peut apporter des conseils pratiques et démystifier le processus. Dans mon cas, j’ai discuté avec un ancien banquier devenu brasseur artisanal ; son histoire m’a beaucoup rassuré sur le fait qu’on peut atterrir sur ses pieds après un gros virage.

Un autre conseil : ne pas voir le changement de carrière comme un reniement du passé, mais comme une évolution naturelle. Tout ce que vous avez fait avant fait partie de vous et vous servira d’une manière ou d’une autre, même si c’est indirect. Rien n’est gâché, au contraire, vous ajoutez une corde à votre arc. Cette manière de penser aide à ne pas culpabiliser de “laisser tomber” une première carrière. Moi, je me dis que j’ai deux carrières complémentaires au lieu d’une, et c’est une richesse.

Pour le risque d’échec : oui, il existe toujours. Mais dites-vous que l’échec d’une tentative de reconversion peut être moins amer que le regret de ne jamais avoir essayé. Et puis, un “échec”, c’est relatif : même si ça ne marche pas comme prévu, vous aurez appris sur vous, vous aurez développé de nouvelles compétences, élargi votre réseau. Ce n’est jamais perdu.

Très concrètement, préparez le terrain financièrement. L’un des grands stress dans ces transitions, c’est l’argent. Donc, épargnez de quoi tenir quelques mois, calculez votre point mort, voyez si vous pouvez bénéficier de dispositifs d’aide (il existe des congés de formation, des aides de Pôle Emploi pour création d’entreprise, etc.). En ayant un plan B ou un matelas de sécurité, on ose plus sereinement.

En résumé : bien se connaître, tester son projet, se faire accompagner, valoriser ses acquis passés, et planifier pragmatiquement. Et puis, à un moment, il faut se lancer. On ne sera jamais 100% certain ni 100% prêt, mais il faut s’autoriser à suivre son envie. Comme on dit, on regrette surtout les chances qu’on n’a pas tentées. Moi, la peur du regret m’a plus motivé que la peur de l’échec. Et aujourd’hui, je ne regrette absolument rien, bien au contraire.

Journaliste : Une dernière question plus légère : si vous pouviez envoyer un message au photographe que vous étiez il y a 10 ans, que lui diriez-vous ?

Armand Lospied : (Rires) Je lui dirais : “Prépare-toi, ta vie va prendre un virage inattendu ! Continue de shooter de belles images, ça te servira d’une manière surprenante. N’aie pas peur de suivre tes multiples passions, elles te mèneront plus loin que tu ne le crois. Ah, et garde bien ton vieil appareil, tu t’en serviras pour faire les plus beaux avant/après de carrosseries impeccables !”.

Plus sérieusement, je lui dirais de ne pas s’enfermer dans une seule identité. À l’époque, je me définissais exclusivement comme photographe. J’aimerais lui chuchoter : “Tu es plus que cela, tu as d’autres talents. Reste ouvert aux opportunités, même si elles te semblent éloignées de ton chemin actuel”. Et peut-être aussi : “Prends soin de ta santé physique dès maintenant, tu vas en avoir besoin quand tu passeras tes journées debout à polir des voitures !” (rires).

Je pense qu’il serait étonné, mais heureux, de voir que j’ai gardé mon regard d’artiste tout en le transposant sur de la tôle et en l’enseignant à d’autres. Comme quoi, la créativité trouve toujours un moyen de s’exprimer, d’une manière ou d’une autre.

Journaliste : Merci Armand pour ce partage sincère. Votre parcours montre qu’avec de l’audace et de la passion, on peut composer plusieurs “vies” professionnelles cohérentes et épanouissantes. Nul doute que cela donnera des idées à ceux qui vous lisent.

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